And now for something completely different, I'll post something in French for once.
Depuis plusieurs mois, la chanson Dégénérations du groupe folklorique Mes Aïeux tourne à plein régime sur les ondes radiophoniques québécoises. Récemment, cette chanson a même remporté le prix de la Chanson populaire de l'année au gala de l'ADISQ.
Toutefois, je déteste personnellement cette chanson. Ce n'est pas de la mauvaise musique. Le rythme est entraînant, et le son folklorique épuré n'est pas désagréable en soi.En fait, c'est son message rétrograde envers les femmes qui m'horripile.
En effet, le deuxième couplet se lit comme suit:
"Ton arrière-arrière-grand-mère, elle a eu 14 enfants
Ton arrière-grand-mère en a eu quasiment autant
Et pis ta grand-mère en voulait trois c'était suffisant
Pis ta mère en voulait pas, toi t'étais un accident
"Et pis toi, ma p'tite fille, tu changes de partenaire tout le temps
Quand tu fais des conneries, tu t'en sors en avortant
Mais y'a des matins, tu te réveilles en pleurant
Quand tu rêves la nuit d'une grande table entourée d'enfants"
(Cliquez ici pour les paroles complètes.)
Bleh. Quelle horreur.
Je rêve où les masses adorent une chanson où l'on idéalise une époque où la femme était la simple propriété de son mari, où le divorce était sinon illégal, sinon socialement impossible, et où elle n'avait pas accès - ni même le droit - à la contraception?
Oui, les Québécoises d'il y a deux ou trois générations avaient des familles de 10, 12 ou 14 enfants. Mais combien de ces grossesses étaient désirées, ou même encore issues de rapports sexuels égalitaires et consentants? Combien de ces grossesses pouvaient réellement être supportées par les ressources physiques de la mère et les ressources financières du ménage?
C'était l'époque où les filles les plus âgées dans la maisonnée (comme ma propre grand-mère, qui était l'aînée d'une famille modeste de 14 enfants) devaient se passer d'une éducation de niveau primaire pour aider leurs mères à s'occuper des frères et soeurs plus jeunes et des diverses corvées domestiques.
Et oui, beaucoup de personnes de notre génération sont nés de grossesses non désirées. Réveillez-vous: la contraception n'a été légalisée au Canada que depuis 1969, et l'avortement n'a été décriminalisé qu'en 1988.
Si vous êtes nés avant 1988, rappelez-vous que votre mère n'a peut-être pas eu le choix de vous mettre au monde, avec tous les sacrifices physiques, mentaux et matériels que ça implique.
D'autre part, la chanson parle de "conneries" que les "pauvres" filles d'aujourd'hui font.
De quelle "connerie" parle-t-on? Avoir des relations sexuelles? Avoir des relations sexuelles non protégées? Avoir des relations sexuelles pour le plaisir, sans désir qu'il en résulte une grossesse?
Avoir des relations sexuelles avec des partenaires différents? Est-ce qu'il faut traiter de cons tous celles et ceux - pourquoi la gent masculine serait-elle exemptée du jugement moral de Mes Aïeux? - qui ont déjà eu des relations sexuelles dans de telles circonstances? Ou qui ont déjà fait eu des relations sexuelles tout court? Ou avec plus d'un partenaire?
Avoir une vie sexuelle libre, sans contrainte, non limitée au mariage, et non assujettie à la possibilité de devenir mère? On devrait plutôt célébrer les 20 ans de cette réalité.
Enfin, l'avortement n'est ni - j'en conviens - un moyen de contraception en tant que tel au même titre que le condom ou la Pilule. Toutefois, c'est un choix légitime, et non, comme cette chanson le suggère, qu'une façon d'éviter les conséquences d'une "connerie".
C'est un choix légitime de choisir si, quand, et avec qui on veut avoir des enfants. C'est un choix légitime de décider que non, on n'est pas physiquement, mentalement ou financière prête à créer, porter, accoucher, entretenir et élever un enfant.
Toutes les femmes n'ont pas envie, contrairement à ce que le suggère la chanson, d'avoir des tas enfants. Ou même un seul. Toutes les femmes n'ont pas besoin, pour s'épanouir pleinement dans la vie, de devenir mère.
Je suis déçue de l'engouement que les gens de ma génération (gens de la vingtaine) semblent avoir pour cette chanson rétrograde, moralisatrice, simpliste et avant-tout misogyne.
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